Case #
2020.01
Prototyper un savoir partagé au service de la transition et de la transformation des territoires
Tout indique aujourd’hui que la qualité d’une étude ne repose pas uniquement sur la qualité de sa production, mais également sur le soin apporté à sa transmission et aux conditions de son appropriation par les acteurs des territoires. C’est de cette intuition qu’est née la démarche “Scénarios Extrêmes”, une exploration d’un an que nous avons restituée en 2019.
Faire de trois études un commun appropriable

Chez Ouishare comme à l’ADEME, nous travaillons à faire advenir des transitions qui nous semblent justes, au travers de projets, d’initiatives et de modes d’engagement divers et variés. C’est pourquoi depuis plusieurs années, nous collaborons dans différents contextes et avec différents interlocuteurs pour produire des études sur la ville et ses futurs, notamment dans le cadre du Lab Ouishare x Chronos.
En 2017 nous y co-produisons Datacités, une exploration sur les données comme bien commun de la ville numérique. En complément, l’ADEME et ses partenaires explorent cette même ville numérique sous deux autres angles : celui de la gouvernance avec Audacities, celui des modèles économiques avec Nouveaux Modèles Économiques Urbains (NMEU).
Mais comment mettre toute cette intelligence produite au service d’une action transformatrice du monde ? En 2019, produire davantage de savoirs accélère-t-il réellement la transition énergétique et environnementale ? C’est pour répondre à cet enjeu qu’est née la démarche “Scénarios Extrêmes : prototypes pour un savoir partagé”. Nous partagions avec l’ADEME une ambition commune : faire de ces trois études trois communs partagés, au service de l’action concrète dans les territoires.
La démarche “Scénarios Extrêmes” a donc consisté à fournir un effort supplémentaire dans la valorisation de ces travaux. Son objectif ? Faire converger les résultats de ces trois études dans un nouveau commun qui permettrait :
- Une meilleure diffusion de leurs enseignements, c’est à dire mieux les communiquer, les rendre moins théoriques et plus opérationnels, les connecter davantage les uns aux autres et avec les enjeux des territoires ;
- Une meilleure appropriation des sujets dont elles traitent, par des acteurs “novices” œuvrant pour les territoires, afin qu’ils intègrent leurs résultats dans leurs pratiques comme des leviers de la transition énergétique et écologique.
Cette démarche entendait contribuer à dessiner le futur des travaux de l’ADEME, en investissant le chaînon post-étude qui leur manque de façon symptomatique.
Une méthodologie collaborative et centrée utilisateurs
A l’origine du projet, une intuition de l’ADEME : avoir recours à des “scénarios extrêmes” pour créer un prétexte à l’échange, provoquer chez des destinataires parfois déjà saturés d’informations ou loin de ces sujets une attention, des réactions qui, en passant par l’émotionnel et l’imaginaire, permettraient de créer des incitations et des “parcours d’engagement” vers d‘autres contenus et outils proposés par l’ADEME.

Le projet a gardé le nom de cette méthode. Il s’est voulu résolument expérimental et inclusif. Cela s’est traduit concrètement par :
- La mise en place d’un cadre de travail collaboratif, afin de favoriser le dialogue et la bonne intégration de l’ensemble des parties prenantes du projet (ADEME, experts-partenaires et utilisateurs potentiels) dans une démarche de co-construction. Ce cadre autorisait une plus grande souplesse méthodologique, cependant qu’il requérait une collaboration encore plus étroite entre l’ADEME et Le Lab Ouishare x Chronos afin de rester alignés sur les objectifs de la mission et les moyens mis en œuvre tout au long de celle-ci ;
- La focalisation du travail sur le “parcours utilisateur” : notre conviction est que pour créer des démarches efficientes en 2019, il est nécessaire de placer les futurs utilisateurs au cœur de celles-ci, et de sélectionner le contenu et les canaux de communication associés via des boucles d’itération. Cette démarche “centrée utilisateur” nous a permis de dessiner des “parcours” au plus juste des habitudes de consommation de l’information de nos différents destinataires.
- La production de "maquettes" à tester concrètement : en remettant le design au cœur de la démarche collaborative (en association avec nos amis designers du collectif BAM), nous avons pu proposer des “maquettes”: des premiers prototypes représentés visuellement et qui pourront être rapidement testés auprès de différents publics. Ces maquettes feront in fine office de cahiers des charges compréhensibles et directement exploitables par tout individu ou organisation qui souhaiterait s’en saisir en bout de chaîne.

Expérimenter pour apprendre, douter, et s’améliorer
Notre démarche s’est avérée riche d’enseignements. Nous retenons en particulier cinq idées fortes qui mériteraient toutes de faire l’objet de développements ultérieurs :
- Croiser les savoirs pour générer plus d’impact : les études comme les actions de terrain sont des moyens qui peuvent être mis au service d’une même fin : la transition écologique. En favorisant les échanges entre ces savoirs, entre les acteurs qui les produisent et ne se côtoient pas ou ne se comprennent pas, c’est initier la convergence entre deux approches complémentaires, au service d’une ambition commune.
- Changer radicalement les postures : fort du constat précédent, c’est toute la chaîne de valeur du savoir qui doit être ré-évaluée, et pour aller plus loin, les postures des différents acteurs dans leur rapport au savoir. Schématiquement (et de manière volontairement caricaturale) il s’agira pour l’expert de descendre de sa tour d’ivoire en vulgarisant son savoir et en faisant l’effort de le transmettre ; pour l’acteur public de repenser son accompagnement des émergences et initiatives locales, en se mettant au service de plutôt qu’en prescrivant de grands plans nationaux et modèles à répliquer ex-nihilo ; pour les professionnels, de sortir d’une approche solutionniste qui ne viserait qu’à traiter la conséquence et non la cause des enjeux. Surtout, il s'agira d'associer les destinataires potentiels de ces savoirs tout au long de la démarche, destinataires qui pourront eux-mêmes être producteurs de savoirs beaucoup plus précis et appropriables.
- Accompagner la diffusion des résultats et ce, à deux niveaux. En interne, seul un engagement fort de la part du commanditaire, qui repose généralement sur un voire deux individus, permet de tirer tous les bénéfices des savoirs produits. Il s'agit d'une condition sine qua non pour faire bouger les lignes et les mentalités d’organisations déjà très structurées. De la même manière, vis-à-vis de ses destinataires externes, une étude ne s’arrête pas à la publication de son rapport final. Il semble illusoire de considérer qu’un travail sera “auto-porté” par le simple intermédiaire d’interfaces numériques - aussi sophistiquées soient-elles. Aussi, il faut accompagner la transmission de ses principaux résultats jusqu'à leurs destinataires-cibles, dans les territoires.
- Se faire un devoir d’expérimenter : on oppose souvent le temps long de la réflexion au temps rapide du faire. Pour nous il n’y a pas un choix binaire mais une alimentation mutuelle de l'un comme de l'autre. Poser le temps long de la réflexion et de la production du savoir (gage de qualité), mais tester rapidement des modes et formats de transmission (gage d'efficience). Le designer joue un rôle de pivot entre ces deux dynamiques : il permet de faire le pont en permanence entre réflexion et action, avec ce souci de restituer la complexité avec simplicité.
- Douter, critiquer, changer : l’acceptation dans chaque démarche d’une part de doute, y compris de ses propres convictions, nous paraît essentielle. Cela signifie, aussi, d'accepter la friction voir le conflit, de ne pas hésiter à modifier le projet en cours de route. En bref, d’expérimenter aussi le droit à l’erreur pour apprendre plus rapidement, chose encore trop rare dans nombre de projets et d’organisations.

Finalement, nous sommes passé d’une certitude sur LA solution à mettre en place (des scénarios extrêmes pour permettre de mieux s’approprier des savoirs complexes), à quatre réponses possibles (mais non-exclusives), sous formes d’hypothèses, développées et prototypées collectivement :
- un parcours interactif type scénario extrême qui propose une histoire autour de la ville de données. L’expérience et la navigation s’adaptent aux réactions du lecteur et lui proposent différentes informations et outils qui lui donneront envie d’approfondir le sujet,
- un kit d’appropriation, pour s’approprier le sujet à travers trois formats : la Réunion d’équipe, la Conf’ Incrustée et l’Atelier Participatif. Le kit offre conseils et informations pour faciliter ces formats, ainsi qu’une synthèse graphique des trois études sous l’angle d’une typologie de territoire : village, ville moyenne ou métropole,
- un chatbot qui permet, à partir de questions simples, d’orienter vers des études et contenus déjà produits, ou bien de faire remonter les besoins du terrain,
- deux formations Action Recherche et Territoire d’Inspiration en pairs à pairs, avec visite de terrain, le partage d’expérience étant clé pour une meilleure appropriation des contenus.
Aujourd'hui, ce travail doit se poursuivre : en le partageant, en le confrontant, en en ouvrant les méthodes, toujours dans l’optique d’œuvrer pour le plus grand nombre. Il est probable que d’autres individus ou organisations se posent des questions similaires, et nous n’avons toujours pas de certitudes claires à leur communiquer. D’autres explorent déjà leurs propres pistes d’action en la matière, et nous n’avons pas la prétention de les connaître toutes et encore moins de les “surclasser”. Mais nous avons probablement révélé quelques lignes de fuite, refermé certaines portes et ouvert autant de fenêtres, par tâtonnement. C’est aussi comme cela que nous entendons contribuer aux communs.
Nous sommes désormais à l’écoute de toutes celles et ceux qui souhaitent s’appuyer sur ces travaux pour poursuivre l’exploration et imaginer des dispositifs d’actions concrètes.
Alors n’hésitez pas à nous contacter ici yann@ouishare.net ou là samuel.chabre@ouishare.net.
D’ici là, bonne immersion !