Magazine
April 4, 2018

Mutation du travail, vers un conflit de générations ?

25% de chômage chez les jeunes (1), et ce chiffre ne nous surprend même plus ! Mais alors qu’un jeune sur quatre fait à un moment ou un autre l’expérience socialement marquante du chômage, on peut légitimement se poser quelques questions quant à la société qui s’esquisse pour demain. Quelle transformation peut bien cacher le rituel désormais installé de l’annonce mensuelle des chiffres du chômage par le bien nommé ministre du travail ?

Nous en avons déjà parlé, le travail évolue. Autrefois, nous avions sur la question de l’emploi un indicateur tout désigné pour guider les décideurs publiques : les statistiques du chômage. Nous avions des outils pour identifier, valoriser et rétribuer ce travail. Je parle des fiches de poste, des objectifs, du fameux entretien annuel et des négociations salariales. Nous avions un atelier, un bureau, une usine.

Le travail en miettes

Je suis persuadé que nous ne savons plus ce qu’est le travail. Lorsque je poste un statut ou une photo sur Facebook, je travaille. Je crée de la valeur, en tout cas j’augmente par ma contribution la valeur du réseau. Cette valeur est captée, en partie monétisée et distribuée en fonction de l’organisation de l’entreprise. Dans le cas de Facebook, elle est distribuée aux actionnaires, aux employés et elle est stockée. Il en est finalement de même pour la plupart des plateformes de la consommation collaborative.

Mon grand-père a fait le même travail toute sa vie, mon père a eu sept emplois différents et moi j’en fais sept en même temps — Seth Godin

Cela esquisse de nouveaux genres d’entreprises, où la création de la valeur n’est plus exclusivement le lot des salariés mais où l’utilisateur est lui aussi mis à contribution. Par ricochet, ce sont de nouvelles formes de travail qui s’annoncent.

Une lecture générationnelle…

Alors oui, le chômage chez les jeunes explose, et c'est un paradoxe, car à l’échelle de la planète, nous n’avons jamais créé autant de richesses.

Ce n’est donc pas tant le travail qui est en panne mais la machine à distribuer la valeur censée l’accompagner. Le travail est une des pierres angulaires de nos sociétés, à la fois vecteur de lien social et principal déterminant de la distribution de la richesse à travers celles-ci. Cette panne va marquer toute une génération.

Une génération, selon Bernard Préel - sociologue et auteur du livre Le choc des générations (2) -, se construit grâce à la dialectique "entre les pères et les pairs".

Fidélité à ses pères, à la tradition, à ce qui dure, à ce qui se transmet pour que le monde, la vie se perpétuent, au risque de se répéter. […] Fidélité à ses pairs, à ses contemporains, à son temps. Chaque génération est nouvelle. Elle se distingue de celles d’hier. Et parfois s’oppose à elles. Creusant le fossé des générations. (3)

De cette rencontre deux types de solidarité vont apparaître, l’une verticale envers ses ascendants et descendants; l’autre horizontale avec ceux qui vivront les mêmes événements de l’histoire. Deux visions politiques de la solidarité et une question centrale :

  • Suis-je de fait dans un environnement concurrentiel avec mes contemporains (trouver un travail, un conjoint, une maison…) ? Dans ce cas je vais privilégier les formes de solidarité verticale.
  • Ou à l'inverse, puis-je concevoir une forme d’appartenance communautaire avec mes contemporains ? Dans ce cas on développera plus facilement une forme de solidarité horizontale.

Aujourd’hui et toujours selon le sociologue (4), on vit plus souvent entre pairs qu’entre père et fils. Ainsi, si la relation père/fils peut favoriser une certaine stabilité dans le transfert et l’adaptation d’une certaine culture, la relation entre pairs va, elle, favoriser l’émergence d’une culture potentiellement disruptive.

... pour esquisser la société de demain

Pour Bernard Préel, les jeunes générations vont être marquées par l’environnement au sein duquel elles évolueront pendant “la période de formation”, “de la crèche à l’université en passant hier, par l’armée”. C’est pendant cette période que certaines générations vont développer un sentiment d’appartenance, un véritable esprit de génération souvent par le biais d’une participation plus ou moins active à des événements structurants. Si Préel définit dix générations, de “la Belle Epoque" (1885-1895) à “Internet” (1975-1985), on peut, sans prendre trop de risque, y ajouter la génération “Chômage” (1985-2015).

Une fois le décor posé, Préel fait jouer les différents protagonistes dans une pièce où les rapports de conflits et de coopération vont se retrouver au coeur de l’intrigue. "Comment la pièce se déroulera-t-elle avec ces acteurs ? Verra-t-on les générations se liguer les unes contre les autres ? Lesquelles s'empareront des premiers rôles ? Certaines seront-elles sacrifiées et d'autres parviendront-elles à se jouer du destin ?".

Si le chômage s’avère être un indicateur du passé, sa réalité sociale est en revanche bien présente : il exclut, il stigmatise, il marque les individus. Cette situation institue un nouveau rapport inter-générationnel qui remet en cause le pacte tacite où l’idée de progrès technique, promue depuis le temps de la révolution industrielle, devait garantir un niveau de richesse croissant d’une génération à l’autre. Cette richesse devait profiter à tous, si l’on en croit la théorie du ruissellement. Et, dans le même temps, cette situation déséquilibre le rapport de force entre les employés et les employeurs, les premiers étant plus à même de faire des concessions sur leurs conditions de travail par peur du chômage.

Ce récit a fait long feu. La machine à distribuer la richesse est cassée. Les places sur le marché de l’emploi sont chères et elles n’offrent que peu de perspectives. Au-delà du plafond de verre auquel sont confrontées les jeunes générations, les impacts sur la capacité des organisations à s’adapter au changement ne doivent pas être négligés. Le point n’est pas d’avancer qu’une entreprise sans jeune ne peut pas s’adapter aux évolutions du monde qui l’entoure mais bien d’admettre qu’il y a des conditions démographiques au changement organisationnel.

C’est finalement ce que nous observons à travers le “job out”. Cette jeune génération appréhende sa carrière professionnelle et sa trajectoire sociale différemment : elle ne peut plus espérer gravir les échelons de l’échelle sociale par les chemins empruntés autrefois par ses aînés. Elle va donc repenser ses priorités tout en dessinant des parcours alternatifs, en mettant en place différents stratagèmes, en bricolant avec les dispositifs existants pour essayer de se soustraire aux diktats toujours plus contraignants du marché de l’emploi.

Finalement, comme le dit très bien Daniel Kaplan, l’enjeu, pour toute une génération, c’est bien de vivre la transformation du travail pour ne pas la subir, c’est bien d’inventer nos propres dénouements dans la pièce à rebondissement que constitue notre monde en mutation.

Pour en savoir plus sur le livre de Bernard Préel, Le choc des générations

Notes :

  1. Source : http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/france/taux-de-chomage-des-jeunes-de-moins-de-25-ans.html
  2. Le choc des générations, Bernard Préel, Broché 2000
  3. Le choc des générations, Bernard Préel, Broché 2000, P7
  4. Source : http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/a-chaque-age-son-combat_1363372.html

Mutation du travail, vers un conflit de générations ?

by 
Edwin Mootoosamy
Edwin Mootoosamy
Magazine
October 26, 2015
Mutation du travail, vers un conflit de générations ?
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1 jeune sur 4 fera à un moment ou à un autre l'expérience du chômage. Le conflit généralisé entre les générations pourra-t-il être évité ?

25% de chômage chez les jeunes (1), et ce chiffre ne nous surprend même plus ! Mais alors qu’un jeune sur quatre fait à un moment ou un autre l’expérience socialement marquante du chômage, on peut légitimement se poser quelques questions quant à la société qui s’esquisse pour demain. Quelle transformation peut bien cacher le rituel désormais installé de l’annonce mensuelle des chiffres du chômage par le bien nommé ministre du travail ?

Nous en avons déjà parlé, le travail évolue. Autrefois, nous avions sur la question de l’emploi un indicateur tout désigné pour guider les décideurs publiques : les statistiques du chômage. Nous avions des outils pour identifier, valoriser et rétribuer ce travail. Je parle des fiches de poste, des objectifs, du fameux entretien annuel et des négociations salariales. Nous avions un atelier, un bureau, une usine.

Le travail en miettes

Je suis persuadé que nous ne savons plus ce qu’est le travail. Lorsque je poste un statut ou une photo sur Facebook, je travaille. Je crée de la valeur, en tout cas j’augmente par ma contribution la valeur du réseau. Cette valeur est captée, en partie monétisée et distribuée en fonction de l’organisation de l’entreprise. Dans le cas de Facebook, elle est distribuée aux actionnaires, aux employés et elle est stockée. Il en est finalement de même pour la plupart des plateformes de la consommation collaborative.

Mon grand-père a fait le même travail toute sa vie, mon père a eu sept emplois différents et moi j’en fais sept en même temps — Seth Godin

Cela esquisse de nouveaux genres d’entreprises, où la création de la valeur n’est plus exclusivement le lot des salariés mais où l’utilisateur est lui aussi mis à contribution. Par ricochet, ce sont de nouvelles formes de travail qui s’annoncent.

Une lecture générationnelle…

Alors oui, le chômage chez les jeunes explose, et c'est un paradoxe, car à l’échelle de la planète, nous n’avons jamais créé autant de richesses.

Ce n’est donc pas tant le travail qui est en panne mais la machine à distribuer la valeur censée l’accompagner. Le travail est une des pierres angulaires de nos sociétés, à la fois vecteur de lien social et principal déterminant de la distribution de la richesse à travers celles-ci. Cette panne va marquer toute une génération.

Une génération, selon Bernard Préel - sociologue et auteur du livre Le choc des générations (2) -, se construit grâce à la dialectique "entre les pères et les pairs".

Fidélité à ses pères, à la tradition, à ce qui dure, à ce qui se transmet pour que le monde, la vie se perpétuent, au risque de se répéter. […] Fidélité à ses pairs, à ses contemporains, à son temps. Chaque génération est nouvelle. Elle se distingue de celles d’hier. Et parfois s’oppose à elles. Creusant le fossé des générations. (3)

De cette rencontre deux types de solidarité vont apparaître, l’une verticale envers ses ascendants et descendants; l’autre horizontale avec ceux qui vivront les mêmes événements de l’histoire. Deux visions politiques de la solidarité et une question centrale :

  • Suis-je de fait dans un environnement concurrentiel avec mes contemporains (trouver un travail, un conjoint, une maison…) ? Dans ce cas je vais privilégier les formes de solidarité verticale.
  • Ou à l'inverse, puis-je concevoir une forme d’appartenance communautaire avec mes contemporains ? Dans ce cas on développera plus facilement une forme de solidarité horizontale.

Aujourd’hui et toujours selon le sociologue (4), on vit plus souvent entre pairs qu’entre père et fils. Ainsi, si la relation père/fils peut favoriser une certaine stabilité dans le transfert et l’adaptation d’une certaine culture, la relation entre pairs va, elle, favoriser l’émergence d’une culture potentiellement disruptive.

... pour esquisser la société de demain

Pour Bernard Préel, les jeunes générations vont être marquées par l’environnement au sein duquel elles évolueront pendant “la période de formation”, “de la crèche à l’université en passant hier, par l’armée”. C’est pendant cette période que certaines générations vont développer un sentiment d’appartenance, un véritable esprit de génération souvent par le biais d’une participation plus ou moins active à des événements structurants. Si Préel définit dix générations, de “la Belle Epoque" (1885-1895) à “Internet” (1975-1985), on peut, sans prendre trop de risque, y ajouter la génération “Chômage” (1985-2015).

Une fois le décor posé, Préel fait jouer les différents protagonistes dans une pièce où les rapports de conflits et de coopération vont se retrouver au coeur de l’intrigue. "Comment la pièce se déroulera-t-elle avec ces acteurs ? Verra-t-on les générations se liguer les unes contre les autres ? Lesquelles s'empareront des premiers rôles ? Certaines seront-elles sacrifiées et d'autres parviendront-elles à se jouer du destin ?".

Si le chômage s’avère être un indicateur du passé, sa réalité sociale est en revanche bien présente : il exclut, il stigmatise, il marque les individus. Cette situation institue un nouveau rapport inter-générationnel qui remet en cause le pacte tacite où l’idée de progrès technique, promue depuis le temps de la révolution industrielle, devait garantir un niveau de richesse croissant d’une génération à l’autre. Cette richesse devait profiter à tous, si l’on en croit la théorie du ruissellement. Et, dans le même temps, cette situation déséquilibre le rapport de force entre les employés et les employeurs, les premiers étant plus à même de faire des concessions sur leurs conditions de travail par peur du chômage.

Ce récit a fait long feu. La machine à distribuer la richesse est cassée. Les places sur le marché de l’emploi sont chères et elles n’offrent que peu de perspectives. Au-delà du plafond de verre auquel sont confrontées les jeunes générations, les impacts sur la capacité des organisations à s’adapter au changement ne doivent pas être négligés. Le point n’est pas d’avancer qu’une entreprise sans jeune ne peut pas s’adapter aux évolutions du monde qui l’entoure mais bien d’admettre qu’il y a des conditions démographiques au changement organisationnel.

C’est finalement ce que nous observons à travers le “job out”. Cette jeune génération appréhende sa carrière professionnelle et sa trajectoire sociale différemment : elle ne peut plus espérer gravir les échelons de l’échelle sociale par les chemins empruntés autrefois par ses aînés. Elle va donc repenser ses priorités tout en dessinant des parcours alternatifs, en mettant en place différents stratagèmes, en bricolant avec les dispositifs existants pour essayer de se soustraire aux diktats toujours plus contraignants du marché de l’emploi.

Finalement, comme le dit très bien Daniel Kaplan, l’enjeu, pour toute une génération, c’est bien de vivre la transformation du travail pour ne pas la subir, c’est bien d’inventer nos propres dénouements dans la pièce à rebondissement que constitue notre monde en mutation.

Pour en savoir plus sur le livre de Bernard Préel, Le choc des générations

Notes :

  1. Source : http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/france/taux-de-chomage-des-jeunes-de-moins-de-25-ans.html
  2. Le choc des générations, Bernard Préel, Broché 2000
  3. Le choc des générations, Bernard Préel, Broché 2000, P7
  4. Source : http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/a-chaque-age-son-combat_1363372.html
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Edwin Mootoosamy
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October 26, 2015

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Edwin Mootoosamy
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1 jeune sur 4 fera à un moment ou à un autre l'expérience du chômage. Le conflit généralisé entre les générations pourra-t-il être évité ?

25% de chômage chez les jeunes (1), et ce chiffre ne nous surprend même plus ! Mais alors qu’un jeune sur quatre fait à un moment ou un autre l’expérience socialement marquante du chômage, on peut légitimement se poser quelques questions quant à la société qui s’esquisse pour demain. Quelle transformation peut bien cacher le rituel désormais installé de l’annonce mensuelle des chiffres du chômage par le bien nommé ministre du travail ?

Nous en avons déjà parlé, le travail évolue. Autrefois, nous avions sur la question de l’emploi un indicateur tout désigné pour guider les décideurs publiques : les statistiques du chômage. Nous avions des outils pour identifier, valoriser et rétribuer ce travail. Je parle des fiches de poste, des objectifs, du fameux entretien annuel et des négociations salariales. Nous avions un atelier, un bureau, une usine.

Le travail en miettes

Je suis persuadé que nous ne savons plus ce qu’est le travail. Lorsque je poste un statut ou une photo sur Facebook, je travaille. Je crée de la valeur, en tout cas j’augmente par ma contribution la valeur du réseau. Cette valeur est captée, en partie monétisée et distribuée en fonction de l’organisation de l’entreprise. Dans le cas de Facebook, elle est distribuée aux actionnaires, aux employés et elle est stockée. Il en est finalement de même pour la plupart des plateformes de la consommation collaborative.

Mon grand-père a fait le même travail toute sa vie, mon père a eu sept emplois différents et moi j’en fais sept en même temps — Seth Godin

Cela esquisse de nouveaux genres d’entreprises, où la création de la valeur n’est plus exclusivement le lot des salariés mais où l’utilisateur est lui aussi mis à contribution. Par ricochet, ce sont de nouvelles formes de travail qui s’annoncent.

Une lecture générationnelle…

Alors oui, le chômage chez les jeunes explose, et c'est un paradoxe, car à l’échelle de la planète, nous n’avons jamais créé autant de richesses.

Ce n’est donc pas tant le travail qui est en panne mais la machine à distribuer la valeur censée l’accompagner. Le travail est une des pierres angulaires de nos sociétés, à la fois vecteur de lien social et principal déterminant de la distribution de la richesse à travers celles-ci. Cette panne va marquer toute une génération.

Une génération, selon Bernard Préel - sociologue et auteur du livre Le choc des générations (2) -, se construit grâce à la dialectique "entre les pères et les pairs".

Fidélité à ses pères, à la tradition, à ce qui dure, à ce qui se transmet pour que le monde, la vie se perpétuent, au risque de se répéter. […] Fidélité à ses pairs, à ses contemporains, à son temps. Chaque génération est nouvelle. Elle se distingue de celles d’hier. Et parfois s’oppose à elles. Creusant le fossé des générations. (3)

De cette rencontre deux types de solidarité vont apparaître, l’une verticale envers ses ascendants et descendants; l’autre horizontale avec ceux qui vivront les mêmes événements de l’histoire. Deux visions politiques de la solidarité et une question centrale :

  • Suis-je de fait dans un environnement concurrentiel avec mes contemporains (trouver un travail, un conjoint, une maison…) ? Dans ce cas je vais privilégier les formes de solidarité verticale.
  • Ou à l'inverse, puis-je concevoir une forme d’appartenance communautaire avec mes contemporains ? Dans ce cas on développera plus facilement une forme de solidarité horizontale.

Aujourd’hui et toujours selon le sociologue (4), on vit plus souvent entre pairs qu’entre père et fils. Ainsi, si la relation père/fils peut favoriser une certaine stabilité dans le transfert et l’adaptation d’une certaine culture, la relation entre pairs va, elle, favoriser l’émergence d’une culture potentiellement disruptive.

... pour esquisser la société de demain

Pour Bernard Préel, les jeunes générations vont être marquées par l’environnement au sein duquel elles évolueront pendant “la période de formation”, “de la crèche à l’université en passant hier, par l’armée”. C’est pendant cette période que certaines générations vont développer un sentiment d’appartenance, un véritable esprit de génération souvent par le biais d’une participation plus ou moins active à des événements structurants. Si Préel définit dix générations, de “la Belle Epoque" (1885-1895) à “Internet” (1975-1985), on peut, sans prendre trop de risque, y ajouter la génération “Chômage” (1985-2015).

Une fois le décor posé, Préel fait jouer les différents protagonistes dans une pièce où les rapports de conflits et de coopération vont se retrouver au coeur de l’intrigue. "Comment la pièce se déroulera-t-elle avec ces acteurs ? Verra-t-on les générations se liguer les unes contre les autres ? Lesquelles s'empareront des premiers rôles ? Certaines seront-elles sacrifiées et d'autres parviendront-elles à se jouer du destin ?".

Si le chômage s’avère être un indicateur du passé, sa réalité sociale est en revanche bien présente : il exclut, il stigmatise, il marque les individus. Cette situation institue un nouveau rapport inter-générationnel qui remet en cause le pacte tacite où l’idée de progrès technique, promue depuis le temps de la révolution industrielle, devait garantir un niveau de richesse croissant d’une génération à l’autre. Cette richesse devait profiter à tous, si l’on en croit la théorie du ruissellement. Et, dans le même temps, cette situation déséquilibre le rapport de force entre les employés et les employeurs, les premiers étant plus à même de faire des concessions sur leurs conditions de travail par peur du chômage.

Ce récit a fait long feu. La machine à distribuer la richesse est cassée. Les places sur le marché de l’emploi sont chères et elles n’offrent que peu de perspectives. Au-delà du plafond de verre auquel sont confrontées les jeunes générations, les impacts sur la capacité des organisations à s’adapter au changement ne doivent pas être négligés. Le point n’est pas d’avancer qu’une entreprise sans jeune ne peut pas s’adapter aux évolutions du monde qui l’entoure mais bien d’admettre qu’il y a des conditions démographiques au changement organisationnel.

C’est finalement ce que nous observons à travers le “job out”. Cette jeune génération appréhende sa carrière professionnelle et sa trajectoire sociale différemment : elle ne peut plus espérer gravir les échelons de l’échelle sociale par les chemins empruntés autrefois par ses aînés. Elle va donc repenser ses priorités tout en dessinant des parcours alternatifs, en mettant en place différents stratagèmes, en bricolant avec les dispositifs existants pour essayer de se soustraire aux diktats toujours plus contraignants du marché de l’emploi.

Finalement, comme le dit très bien Daniel Kaplan, l’enjeu, pour toute une génération, c’est bien de vivre la transformation du travail pour ne pas la subir, c’est bien d’inventer nos propres dénouements dans la pièce à rebondissement que constitue notre monde en mutation.

Pour en savoir plus sur le livre de Bernard Préel, Le choc des générations

Notes :

  1. Source : http://data.lesechos.fr/pays-indicateur/france/taux-de-chomage-des-jeunes-de-moins-de-25-ans.html
  2. Le choc des générations, Bernard Préel, Broché 2000
  3. Le choc des générations, Bernard Préel, Broché 2000, P7
  4. Source : http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/a-chaque-age-son-combat_1363372.html
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