Magazine
February 16, 2022

Les licornes ont-elles un sexe ?

25 licornes, cela commence à compter dans l'écurie nationale au Grand Prix des Merveilles. Les Avengers n'ont qu'à bien se tenir, la patrouille de France version MyLittlePony sort de son boxe chauffée à bloc pour aller mettre un coup de sabot dans la bataille des Terres du Milieu. Alors réjouissons-nous de l'élan de nos monocéros dans le champ du tout est possible. On a si longtemps entendu les VC [investisseurs en capital risque] français rouspéter que l'herbe était plus verte dans les prés du pays où les billets le sont aussi.

Symboles de vigueur, de pureté et de grâce, la majesté des licornes vient du mystère de leur genèse. La nouvelle fend le ciel comme un Pégase, et se retrouve un beau matin en Une de BFM Business. "Breaking News : une nouvelle licorne vient de voir le jour." A son chevet, un Président de la République aux anges, trois fondateurs qui tentent de garder les pieds sur terre du haut de leur montagne de blé, et une escouade d'investisseurs qui croisent les doigts en priant Dieu pour avoir misé sur le tiercé gagnant. 

Si les origines des licornes sont obscures, les légendes s'accordent à peu près toutes pour dire qu'elles disposent d'un odorat exceptionnel leur permettant de reconnaître une jeune vierge au milieu d'un harem. Ce qui pourrait bien expliquer pourquoi leurs contemporaines sont chevauchées par des quadrilles de vigoureux blanc-becs vêtus d’un sweat à capuche. A moins que le folklore des anciens ne nous soit d'aucune aide et qu'il faille se résoudre à regarder l'époque avec un brin de réalisme. Sur les 25 licornes françaises, toutes sont fondées par des hommes, et comme l'expliquait le rapport du baromètre SISTA x BCG sur les conditions d'accès aux financements pour les femmes fondatrices de startups l'an dernier "les investisseurs continuent de privilégier les équipes masculines, qui représentent près de 85% des startups financées et plus de 90% des fonds levés en 2020".

Ce nouveau monde qu'on nous promet ressemble à s'y méprendre à l'ancien.

Peut-être que les femmes ne s'autorisent pas à entreprendre autant que les hommes, à avoir le même niveau d'ambition pour partir à la conquête du monde, que c'est un problème structurel, un enjeu d'éducation et qu'il faudrait une commission interministérielle pour revoir les méthodes pédagogiques de Poudlard. Peut être même que c'est de leur faute parce qu'il leur suffirait de s'acheter une paire de vous-savez-quoi si elles avaient vraiment l'ambition de réussir dans la vie. Ou peut-être que banques et fonds d'investissements ont une large part de responsabilité dans cette improbité et que le grand capital n'arrive pas à se rentrer dans la tête qu'on ne développe pas une entreprise avec ses parties génitales. En 2020 les équipes uniquement constituées de femmes représentent 2% des fonds levés dans la tranche 15 à 50 millions d'euros en France, et 0% des tranches supérieures. 

Le secrétaire d'état au numérique Cédric O affirmait récemment dans une formule pleine de bon sens politique qu'il avait confiance en l'innovation française. Réagissant à une levée de fonds prodigieuse annoncée quelques heures plus tôt, il avait ces mots "La France est revenue dans le jeu de l’économie de l’innovation". Mais nous aurons beau finir premier, une course où l'on tourne en rond ne nous ramènera jamais que sur la ligne de départ. 

La fonction de l'innovation est-elle de conquérir le monde ou d’enclencher des progrès sociaux ? Tandis que Christel Heydeman devient la troisième femme à diriger une société du CAC 40 après Catherine McGregor chez Engie et Estelle Brachlianoff chez Veolia, seules 14 entreprises comptent une femme à leur tête au SBF 120. Ce nouveau monde qu'on nous promet ressemble à s'y méprendre à l'ancien. A moins que son avidité de conquête et de puissance ne le rende encore pire. Parce que sans un projet politique et social pour lui donner un cap, l'innovation est une fable, et nos licornes ne sont vouées qu'à rester des chimères.


*Sur les 25 licornes françaises, on ne compte, sauf erreur, qu'une seule co-fondatrice, chez Ledger.

_____

Marc-Arthur Gauthey est membre de Ouishare.

_____

Sur le même sujet :

> Start-up nation, overdose bullshit. Un livre écrit par Arthur de Grave

> La start-up est-elle contre nature ? Un article écrit par Solène Manouvrier

Les licornes ont-elles un sexe ?

by 
Marc-Arthur Gauthey
Magazine
February 14, 2022
Les licornes ont-elles un sexe ?
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BILLET. « Les start-up c’est notre assurance-vie ». « Longue vie à la “start-up nation” ! ». Voilà les mots employés il y a quelques jours par le secrétaire d’État au numérique à l'annonce de la liste des start-ups françaises les mieux valorisées. Mais doit-on vraiment se réjouir de voir une poignée de start-ups françaises valorisées à plus de 1 milliards de dollars, accédant par là-même au statut de « licorne » ? Marc-Arthur Gauthey s'est posé la question et nous partage quelques éléments de réponse.

25 licornes, cela commence à compter dans l'écurie nationale au Grand Prix des Merveilles. Les Avengers n'ont qu'à bien se tenir, la patrouille de France version MyLittlePony sort de son boxe chauffée à bloc pour aller mettre un coup de sabot dans la bataille des Terres du Milieu. Alors réjouissons-nous de l'élan de nos monocéros dans le champ du tout est possible. On a si longtemps entendu les VC [investisseurs en capital risque] français rouspéter que l'herbe était plus verte dans les prés du pays où les billets le sont aussi.

Symboles de vigueur, de pureté et de grâce, la majesté des licornes vient du mystère de leur genèse. La nouvelle fend le ciel comme un Pégase, et se retrouve un beau matin en Une de BFM Business. "Breaking News : une nouvelle licorne vient de voir le jour." A son chevet, un Président de la République aux anges, trois fondateurs qui tentent de garder les pieds sur terre du haut de leur montagne de blé, et une escouade d'investisseurs qui croisent les doigts en priant Dieu pour avoir misé sur le tiercé gagnant. 

Si les origines des licornes sont obscures, les légendes s'accordent à peu près toutes pour dire qu'elles disposent d'un odorat exceptionnel leur permettant de reconnaître une jeune vierge au milieu d'un harem. Ce qui pourrait bien expliquer pourquoi leurs contemporaines sont chevauchées par des quadrilles de vigoureux blanc-becs vêtus d’un sweat à capuche. A moins que le folklore des anciens ne nous soit d'aucune aide et qu'il faille se résoudre à regarder l'époque avec un brin de réalisme. Sur les 25 licornes françaises, toutes sont fondées par des hommes, et comme l'expliquait le rapport du baromètre SISTA x BCG sur les conditions d'accès aux financements pour les femmes fondatrices de startups l'an dernier "les investisseurs continuent de privilégier les équipes masculines, qui représentent près de 85% des startups financées et plus de 90% des fonds levés en 2020".

Ce nouveau monde qu'on nous promet ressemble à s'y méprendre à l'ancien.

Peut-être que les femmes ne s'autorisent pas à entreprendre autant que les hommes, à avoir le même niveau d'ambition pour partir à la conquête du monde, que c'est un problème structurel, un enjeu d'éducation et qu'il faudrait une commission interministérielle pour revoir les méthodes pédagogiques de Poudlard. Peut être même que c'est de leur faute parce qu'il leur suffirait de s'acheter une paire de vous-savez-quoi si elles avaient vraiment l'ambition de réussir dans la vie. Ou peut-être que banques et fonds d'investissements ont une large part de responsabilité dans cette improbité et que le grand capital n'arrive pas à se rentrer dans la tête qu'on ne développe pas une entreprise avec ses parties génitales. En 2020 les équipes uniquement constituées de femmes représentent 2% des fonds levés dans la tranche 15 à 50 millions d'euros en France, et 0% des tranches supérieures. 

Le secrétaire d'état au numérique Cédric O affirmait récemment dans une formule pleine de bon sens politique qu'il avait confiance en l'innovation française. Réagissant à une levée de fonds prodigieuse annoncée quelques heures plus tôt, il avait ces mots "La France est revenue dans le jeu de l’économie de l’innovation". Mais nous aurons beau finir premier, une course où l'on tourne en rond ne nous ramènera jamais que sur la ligne de départ. 

La fonction de l'innovation est-elle de conquérir le monde ou d’enclencher des progrès sociaux ? Tandis que Christel Heydeman devient la troisième femme à diriger une société du CAC 40 après Catherine McGregor chez Engie et Estelle Brachlianoff chez Veolia, seules 14 entreprises comptent une femme à leur tête au SBF 120. Ce nouveau monde qu'on nous promet ressemble à s'y méprendre à l'ancien. A moins que son avidité de conquête et de puissance ne le rende encore pire. Parce que sans un projet politique et social pour lui donner un cap, l'innovation est une fable, et nos licornes ne sont vouées qu'à rester des chimères.


*Sur les 25 licornes françaises, on ne compte, sauf erreur, qu'une seule co-fondatrice, chez Ledger.

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Marc-Arthur Gauthey est membre de Ouishare.

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> Start-up nation, overdose bullshit. Un livre écrit par Arthur de Grave

> La start-up est-elle contre nature ? Un article écrit par Solène Manouvrier

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Marc-Arthur Gauthey
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25 licornes, cela commence à compter dans l'écurie nationale au Grand Prix des Merveilles. Les Avengers n'ont qu'à bien se tenir, la patrouille de France version MyLittlePony sort de son boxe chauffée à bloc pour aller mettre un coup de sabot dans la bataille des Terres du Milieu. Alors réjouissons-nous de l'élan de nos monocéros dans le champ du tout est possible. On a si longtemps entendu les VC [investisseurs en capital risque] français rouspéter que l'herbe était plus verte dans les prés du pays où les billets le sont aussi.

Symboles de vigueur, de pureté et de grâce, la majesté des licornes vient du mystère de leur genèse. La nouvelle fend le ciel comme un Pégase, et se retrouve un beau matin en Une de BFM Business. "Breaking News : une nouvelle licorne vient de voir le jour." A son chevet, un Président de la République aux anges, trois fondateurs qui tentent de garder les pieds sur terre du haut de leur montagne de blé, et une escouade d'investisseurs qui croisent les doigts en priant Dieu pour avoir misé sur le tiercé gagnant. 

Si les origines des licornes sont obscures, les légendes s'accordent à peu près toutes pour dire qu'elles disposent d'un odorat exceptionnel leur permettant de reconnaître une jeune vierge au milieu d'un harem. Ce qui pourrait bien expliquer pourquoi leurs contemporaines sont chevauchées par des quadrilles de vigoureux blanc-becs vêtus d’un sweat à capuche. A moins que le folklore des anciens ne nous soit d'aucune aide et qu'il faille se résoudre à regarder l'époque avec un brin de réalisme. Sur les 25 licornes françaises, toutes sont fondées par des hommes, et comme l'expliquait le rapport du baromètre SISTA x BCG sur les conditions d'accès aux financements pour les femmes fondatrices de startups l'an dernier "les investisseurs continuent de privilégier les équipes masculines, qui représentent près de 85% des startups financées et plus de 90% des fonds levés en 2020".

Ce nouveau monde qu'on nous promet ressemble à s'y méprendre à l'ancien.

Peut-être que les femmes ne s'autorisent pas à entreprendre autant que les hommes, à avoir le même niveau d'ambition pour partir à la conquête du monde, que c'est un problème structurel, un enjeu d'éducation et qu'il faudrait une commission interministérielle pour revoir les méthodes pédagogiques de Poudlard. Peut être même que c'est de leur faute parce qu'il leur suffirait de s'acheter une paire de vous-savez-quoi si elles avaient vraiment l'ambition de réussir dans la vie. Ou peut-être que banques et fonds d'investissements ont une large part de responsabilité dans cette improbité et que le grand capital n'arrive pas à se rentrer dans la tête qu'on ne développe pas une entreprise avec ses parties génitales. En 2020 les équipes uniquement constituées de femmes représentent 2% des fonds levés dans la tranche 15 à 50 millions d'euros en France, et 0% des tranches supérieures. 

Le secrétaire d'état au numérique Cédric O affirmait récemment dans une formule pleine de bon sens politique qu'il avait confiance en l'innovation française. Réagissant à une levée de fonds prodigieuse annoncée quelques heures plus tôt, il avait ces mots "La France est revenue dans le jeu de l’économie de l’innovation". Mais nous aurons beau finir premier, une course où l'on tourne en rond ne nous ramènera jamais que sur la ligne de départ. 

La fonction de l'innovation est-elle de conquérir le monde ou d’enclencher des progrès sociaux ? Tandis que Christel Heydeman devient la troisième femme à diriger une société du CAC 40 après Catherine McGregor chez Engie et Estelle Brachlianoff chez Veolia, seules 14 entreprises comptent une femme à leur tête au SBF 120. Ce nouveau monde qu'on nous promet ressemble à s'y méprendre à l'ancien. A moins que son avidité de conquête et de puissance ne le rende encore pire. Parce que sans un projet politique et social pour lui donner un cap, l'innovation est une fable, et nos licornes ne sont vouées qu'à rester des chimères.


*Sur les 25 licornes françaises, on ne compte, sauf erreur, qu'une seule co-fondatrice, chez Ledger.

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