Magazine
January 11, 2018

Alain Madelin, du libéralisme à la société non marchande

Alain Madelin, ancien ministre et avocat notoire du libéralisme en France, anticipe une économie fondée sur la coopération et la créativité et où les richesses seront avant tout non-marchandes et immatérielles.

J'ai fait un voyage dans le futur. Et j'ai de bonnes nouvelles à vous rapporter

C'est sur cette note d'optimisme, accompagnée de la symphonie du Nouveau Monde de Dvořák que Alain Madelin, commençait le 22 novembre dernier une conférence intitulé "La Grande Mutation", première d'une série de vingt conférences. L'ancien ministre sous le président Chirac se livrait à un exercice particulier : délivrer une conférence filmée de près d'une heure et demi, devant un public soigneusement sélectionné parmi les cercles libéraux parisiens. L'objectif était double : produire une application pour tablettes numériques "associant conférences, animations visuelles et de nombreuses intéractivités, permettant d'approfondir les sujets traités", tout en profitant de l'occasion du tournage pour engager la conversation avec son entourage libéral.

"Ceci n'est pas une crise, c'est une mutation"

Tel est le leitmotiv de Madelin pour qui "nous vivons bien une période révolutionnaire, une période de conflit entre une économie qui émerge et les infrastructures économiques juridiques et politiques de la vieille économie industrielle". Nous entrons dans une ère de l'innovation fondée cette fois-ci sur la réduction drastique du coût d'accès à l'information et l'arrivée de nouvelles grappes d'inventions.

Singularité transhumanisme

Pétrole vert, processeurs, nanotechnologies, Alain Madelin abonde d'enthousiasme sur les progrès de la technologie allant même jusqu'à faire l'éloge du transhumanisme (et ses rêves d'immortalité), de "cerveau augmenté", et de programmation génétique... Mais en parallèle de la technologie, Madelin en revient régulièrement aux terrains qu'il affectionne : le libéralisme, dont il est l'un des apôtres notoires en France. À grand renfort d'auteurs comme Schumpeter, Ricardo, Say ou Popper, Madelin fait l'éloge des théories économiques libérales. Grâce à la mondialisation, par exemple, les chaînes de productions s'étendent à l'échelle du Monde, et comme à chaque moment, les consommateurs peuvent comparer, le marché est optimisé. Brandissant la loi de l'avantage comparatif, Madelin montre que la mondialisation permet d'optimiser la production ; on assiste ainsi à une création de richesses par la multiplication des échanges. Pour Madelin, "la croissance est un conflit entre le vieux et le neuf", et les récessions sont ce qui permettent de faire le ménage des productions et structures devenues inutiles. Dans un contexte marqué par les gains de productivités massifs et exponentiels, c'est l'innovation, le miracle de la sérendipité, et la mondialisation qui sont en train de propulser l'économie vers une nouvelle ère de croissance.

Nous avons devant nous de fantastiques perspectives de croissance grâce à de stupéfiantes inventions

La troisième vague

Après l'accroissement agricole et la révolution industrielle, nous sommes entrés selon Madelin dans la "troisième vague, la civilisation de la connaissance, la société de croissance voire même de l'hypercroissance". Croissance, vous avez-dit croissance ? Oui mais pas n'importe laquelle, précise-t-il, car dans cette nouvelle économie, la part immaterielle ne cesse d'augmenter, et ce bien sûr sous l'impulsion d'internet. "Car Internet, ça n'a pas de tour de contrôle ni de frontières !" se réjouit visiblement Madelin, dont l'intervention prend alors une tournure tout autre que le cours d'économie classique auquel nous avions droit jusque là... Il prédit la fin de la "société de commandement". Car internet ne fait pas seulement sauter les frontières nationales, mais également celles "entre les cultures, entre les activités autonomes et salariés, entre le public et le privé, entre l'industrie et les services." La nouvelle société en réseau rend caduque les pouvoirs en place, puisque l'asymétrie d'information est diminuée, permettant aux citoyens de mutualiser leur intelligence. Ce qui le conduit à formuler ce constat majeur :

À la société de commandement succède la société de coopération volontaire.

Vers l'économie non-marchande

Comme les frontières éclatent et que la coopération volontaire émerge, la nature de la création de valeur connaît selon Madelin une évolution disruptive.

Le nouveau monde ne porte pas seulement la promesse d'une création de richesses plus abondantes, mais sans doute une modification de l'idée même de richesse. En tout cas ce nouveau monde ne se réduit pas seulement à sa dimension monétaire.

Après tout, "Quelle est la valeur ajoutée des dépenses publiques - pourtant comptabilisées dans le PIB ? Et est-ce que le PIB crée du bonheur" s'interroge-t-il. Critiquant copieusement la mesure de la richesse par le PIB, Madelin argue que "beaucoup d'activités humaines échappent à l'économie marchande". Et contrairement à la période industrielle qui avait marchandisé un certaine nombre d'activités, l'inverse serait en train de se produire : nous allons vers une société de plus en plus non marchande. De la lenteur bureaucratique et à la production de masse, on passe ainsi à la production sur-mesure, ouverte, et en réseau. Il cite même Alvin Toffler, qui développait en 2007 dans "La Richesse révolutionnaire" la notion de "prosommateur", c'est à dire la tendance du consommateur à devenir de plus en plus producteur. "L'importance du prosommateur dans la société ne fait que grandir" estime Madelin qui détaille : "de nombreuses tâches sont désormais réintégrées dans l'économie domestique : la gestion du compte en banque, le montage de meubles en kit, l'impression de photos numérique à la maison, la production de pain..." Et bien sûr, le web contribue à cette tendance, par l'auto-formation, et l'accessibilité des outils en ligne. Ainsi, la croissance infinie devient possible car le carburant de ces nouvelles richesses ne sont pas physiques mais immatérielles : c'est la connaissance partagée, qui, transformée par l'intelligence humaine, devient de la richesse.

Il existe plus de créativité et d'intelligence en dehors des organisations traditionnelles qu'à l'intérieur

L'une des conséquences de cette tendance, c'est que la "valeur travail", se délite au profit de celle de la créativité. En fait, le travail de demain s'apparente davantage à celui d'un jardinier que d'un ingénieur, car le jardinier lui, "ne commande la nature qu'en lui obéissant" (François Bacon). Alors que le monde industriel, vertical et autoritaire, permettait d'une certaine manière tous les abus à une certaine minorité, le nouveau monde nous force davantage à "respecter la réalité telle qu'elle est".

Le défi de la liberté

"Le vieux système ou le chef a toujours raison car il sait, ce vieux système craque de toute part" assène Madelin. Mais comment construire le nouveau ? La réponse n'est guère surprenante au regard du personnage : c'est la Liberté. Reprenant ses classiques, Madelin fait appel à l'ordre spontané de Hayek pour expliquer que la troisième vague n'a pas tant besoin de contraintes... que de règles. En effet, dans la coopération volontaire qui émerge, Madelin explique que "les relations d'échanges ne se font pas avec un accord non pas sur des objectifs à atteindre en commun mais sur des règles de conduites". C'est le cas de l'open-source par exemple : dans un projet, quiconque est libre, s'il n'est pas satisfait de la direction choisie, de lancer un "fork", c'est à dire de réutiliser le code source du logiciel pour lancer un nouveau projet en parallèle. Seule condition : respecter la règle de la licence du logiciel, c'est-à-dire laisser le code du logiciel ouvert. Mais conformément à ce que disait Karl Popper en 1945 déjà, la Liberté et l'ouverture a ses ennemis : notre instinct tribal, qui nous ramène comme une lame de fonds à des réflexes de conservatisme. Parfois à tort critiqué de dangereux libéral, Alain Madelin semble déterminé à lancer un message profondément optimiste. Peut être même trop ? La nécessité de gérer une transition pacifique ne semble pas préoccuper outre mesure le Monsieur. La crise de la dette ? "C'est le problème de l'UMP et du PS" rétorque-t-il, rappelant qu'après tout, les crises de dettes précèdent historiquement les grandes révolution et se finissent généralement par des décisions non anticipées... Quant au problème du chômage, et puisque les richesses non-marchandes augmentent, ne faudrait-il pas réfléchir à un revenu de base, ne serait-ce que comme outil de transition ? Madelin reprend son costume d'homme politique pour répondre :

On en parlera plus tard.

Encore un effort, Monsieur Madelin, et nous vous inviterons comme speaker à notre prochain Ouishare Talk ! Photo de couverture gracieusement empruntée à SFLFrance -

Paternité

jurvetson

Alain Madelin, du libéralisme à la société non marchande

by 
Stanislas Jourdan
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Alain Madelin, ancien ministre et avocat notoire du libéralisme en France, anticipe une économie fondée sur la coopération et la créativité et où les richesses seront avant tout non-marchandes et immatérielles.

J'ai fait un voyage dans le futur. Et j'ai de bonnes nouvelles à vous rapporter

C'est sur cette note d'optimisme, accompagnée de la symphonie du Nouveau Monde de Dvořák que Alain Madelin, commençait le 22 novembre dernier une conférence intitulé "La Grande Mutation", première d'une série de vingt conférences. L'ancien ministre sous le président Chirac se livrait à un exercice particulier : délivrer une conférence filmée de près d'une heure et demi, devant un public soigneusement sélectionné parmi les cercles libéraux parisiens. L'objectif était double : produire une application pour tablettes numériques "associant conférences, animations visuelles et de nombreuses intéractivités, permettant d'approfondir les sujets traités", tout en profitant de l'occasion du tournage pour engager la conversation avec son entourage libéral.

"Ceci n'est pas une crise, c'est une mutation"

Tel est le leitmotiv de Madelin pour qui "nous vivons bien une période révolutionnaire, une période de conflit entre une économie qui émerge et les infrastructures économiques juridiques et politiques de la vieille économie industrielle". Nous entrons dans une ère de l'innovation fondée cette fois-ci sur la réduction drastique du coût d'accès à l'information et l'arrivée de nouvelles grappes d'inventions.

Singularité transhumanisme

Pétrole vert, processeurs, nanotechnologies, Alain Madelin abonde d'enthousiasme sur les progrès de la technologie allant même jusqu'à faire l'éloge du transhumanisme (et ses rêves d'immortalité), de "cerveau augmenté", et de programmation génétique... Mais en parallèle de la technologie, Madelin en revient régulièrement aux terrains qu'il affectionne : le libéralisme, dont il est l'un des apôtres notoires en France. À grand renfort d'auteurs comme Schumpeter, Ricardo, Say ou Popper, Madelin fait l'éloge des théories économiques libérales. Grâce à la mondialisation, par exemple, les chaînes de productions s'étendent à l'échelle du Monde, et comme à chaque moment, les consommateurs peuvent comparer, le marché est optimisé. Brandissant la loi de l'avantage comparatif, Madelin montre que la mondialisation permet d'optimiser la production ; on assiste ainsi à une création de richesses par la multiplication des échanges. Pour Madelin, "la croissance est un conflit entre le vieux et le neuf", et les récessions sont ce qui permettent de faire le ménage des productions et structures devenues inutiles. Dans un contexte marqué par les gains de productivités massifs et exponentiels, c'est l'innovation, le miracle de la sérendipité, et la mondialisation qui sont en train de propulser l'économie vers une nouvelle ère de croissance.

Nous avons devant nous de fantastiques perspectives de croissance grâce à de stupéfiantes inventions

La troisième vague

Après l'accroissement agricole et la révolution industrielle, nous sommes entrés selon Madelin dans la "troisième vague, la civilisation de la connaissance, la société de croissance voire même de l'hypercroissance". Croissance, vous avez-dit croissance ? Oui mais pas n'importe laquelle, précise-t-il, car dans cette nouvelle économie, la part immaterielle ne cesse d'augmenter, et ce bien sûr sous l'impulsion d'internet. "Car Internet, ça n'a pas de tour de contrôle ni de frontières !" se réjouit visiblement Madelin, dont l'intervention prend alors une tournure tout autre que le cours d'économie classique auquel nous avions droit jusque là... Il prédit la fin de la "société de commandement". Car internet ne fait pas seulement sauter les frontières nationales, mais également celles "entre les cultures, entre les activités autonomes et salariés, entre le public et le privé, entre l'industrie et les services." La nouvelle société en réseau rend caduque les pouvoirs en place, puisque l'asymétrie d'information est diminuée, permettant aux citoyens de mutualiser leur intelligence. Ce qui le conduit à formuler ce constat majeur :

À la société de commandement succède la société de coopération volontaire.

Vers l'économie non-marchande

Comme les frontières éclatent et que la coopération volontaire émerge, la nature de la création de valeur connaît selon Madelin une évolution disruptive.

Le nouveau monde ne porte pas seulement la promesse d'une création de richesses plus abondantes, mais sans doute une modification de l'idée même de richesse. En tout cas ce nouveau monde ne se réduit pas seulement à sa dimension monétaire.

Après tout, "Quelle est la valeur ajoutée des dépenses publiques - pourtant comptabilisées dans le PIB ? Et est-ce que le PIB crée du bonheur" s'interroge-t-il. Critiquant copieusement la mesure de la richesse par le PIB, Madelin argue que "beaucoup d'activités humaines échappent à l'économie marchande". Et contrairement à la période industrielle qui avait marchandisé un certaine nombre d'activités, l'inverse serait en train de se produire : nous allons vers une société de plus en plus non marchande. De la lenteur bureaucratique et à la production de masse, on passe ainsi à la production sur-mesure, ouverte, et en réseau. Il cite même Alvin Toffler, qui développait en 2007 dans "La Richesse révolutionnaire" la notion de "prosommateur", c'est à dire la tendance du consommateur à devenir de plus en plus producteur. "L'importance du prosommateur dans la société ne fait que grandir" estime Madelin qui détaille : "de nombreuses tâches sont désormais réintégrées dans l'économie domestique : la gestion du compte en banque, le montage de meubles en kit, l'impression de photos numérique à la maison, la production de pain..." Et bien sûr, le web contribue à cette tendance, par l'auto-formation, et l'accessibilité des outils en ligne. Ainsi, la croissance infinie devient possible car le carburant de ces nouvelles richesses ne sont pas physiques mais immatérielles : c'est la connaissance partagée, qui, transformée par l'intelligence humaine, devient de la richesse.

Il existe plus de créativité et d'intelligence en dehors des organisations traditionnelles qu'à l'intérieur

L'une des conséquences de cette tendance, c'est que la "valeur travail", se délite au profit de celle de la créativité. En fait, le travail de demain s'apparente davantage à celui d'un jardinier que d'un ingénieur, car le jardinier lui, "ne commande la nature qu'en lui obéissant" (François Bacon). Alors que le monde industriel, vertical et autoritaire, permettait d'une certaine manière tous les abus à une certaine minorité, le nouveau monde nous force davantage à "respecter la réalité telle qu'elle est".

Le défi de la liberté

"Le vieux système ou le chef a toujours raison car il sait, ce vieux système craque de toute part" assène Madelin. Mais comment construire le nouveau ? La réponse n'est guère surprenante au regard du personnage : c'est la Liberté. Reprenant ses classiques, Madelin fait appel à l'ordre spontané de Hayek pour expliquer que la troisième vague n'a pas tant besoin de contraintes... que de règles. En effet, dans la coopération volontaire qui émerge, Madelin explique que "les relations d'échanges ne se font pas avec un accord non pas sur des objectifs à atteindre en commun mais sur des règles de conduites". C'est le cas de l'open-source par exemple : dans un projet, quiconque est libre, s'il n'est pas satisfait de la direction choisie, de lancer un "fork", c'est à dire de réutiliser le code source du logiciel pour lancer un nouveau projet en parallèle. Seule condition : respecter la règle de la licence du logiciel, c'est-à-dire laisser le code du logiciel ouvert. Mais conformément à ce que disait Karl Popper en 1945 déjà, la Liberté et l'ouverture a ses ennemis : notre instinct tribal, qui nous ramène comme une lame de fonds à des réflexes de conservatisme. Parfois à tort critiqué de dangereux libéral, Alain Madelin semble déterminé à lancer un message profondément optimiste. Peut être même trop ? La nécessité de gérer une transition pacifique ne semble pas préoccuper outre mesure le Monsieur. La crise de la dette ? "C'est le problème de l'UMP et du PS" rétorque-t-il, rappelant qu'après tout, les crises de dettes précèdent historiquement les grandes révolution et se finissent généralement par des décisions non anticipées... Quant au problème du chômage, et puisque les richesses non-marchandes augmentent, ne faudrait-il pas réfléchir à un revenu de base, ne serait-ce que comme outil de transition ? Madelin reprend son costume d'homme politique pour répondre :

On en parlera plus tard.

Encore un effort, Monsieur Madelin, et nous vous inviterons comme speaker à notre prochain Ouishare Talk ! Photo de couverture gracieusement empruntée à SFLFrance -

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J'ai fait un voyage dans le futur. Et j'ai de bonnes nouvelles à vous rapporter

C'est sur cette note d'optimisme, accompagnée de la symphonie du Nouveau Monde de Dvořák que Alain Madelin, commençait le 22 novembre dernier une conférence intitulé "La Grande Mutation", première d'une série de vingt conférences. L'ancien ministre sous le président Chirac se livrait à un exercice particulier : délivrer une conférence filmée de près d'une heure et demi, devant un public soigneusement sélectionné parmi les cercles libéraux parisiens. L'objectif était double : produire une application pour tablettes numériques "associant conférences, animations visuelles et de nombreuses intéractivités, permettant d'approfondir les sujets traités", tout en profitant de l'occasion du tournage pour engager la conversation avec son entourage libéral.

"Ceci n'est pas une crise, c'est une mutation"

Tel est le leitmotiv de Madelin pour qui "nous vivons bien une période révolutionnaire, une période de conflit entre une économie qui émerge et les infrastructures économiques juridiques et politiques de la vieille économie industrielle". Nous entrons dans une ère de l'innovation fondée cette fois-ci sur la réduction drastique du coût d'accès à l'information et l'arrivée de nouvelles grappes d'inventions.

Singularité transhumanisme

Pétrole vert, processeurs, nanotechnologies, Alain Madelin abonde d'enthousiasme sur les progrès de la technologie allant même jusqu'à faire l'éloge du transhumanisme (et ses rêves d'immortalité), de "cerveau augmenté", et de programmation génétique... Mais en parallèle de la technologie, Madelin en revient régulièrement aux terrains qu'il affectionne : le libéralisme, dont il est l'un des apôtres notoires en France. À grand renfort d'auteurs comme Schumpeter, Ricardo, Say ou Popper, Madelin fait l'éloge des théories économiques libérales. Grâce à la mondialisation, par exemple, les chaînes de productions s'étendent à l'échelle du Monde, et comme à chaque moment, les consommateurs peuvent comparer, le marché est optimisé. Brandissant la loi de l'avantage comparatif, Madelin montre que la mondialisation permet d'optimiser la production ; on assiste ainsi à une création de richesses par la multiplication des échanges. Pour Madelin, "la croissance est un conflit entre le vieux et le neuf", et les récessions sont ce qui permettent de faire le ménage des productions et structures devenues inutiles. Dans un contexte marqué par les gains de productivités massifs et exponentiels, c'est l'innovation, le miracle de la sérendipité, et la mondialisation qui sont en train de propulser l'économie vers une nouvelle ère de croissance.

Nous avons devant nous de fantastiques perspectives de croissance grâce à de stupéfiantes inventions

La troisième vague

Après l'accroissement agricole et la révolution industrielle, nous sommes entrés selon Madelin dans la "troisième vague, la civilisation de la connaissance, la société de croissance voire même de l'hypercroissance". Croissance, vous avez-dit croissance ? Oui mais pas n'importe laquelle, précise-t-il, car dans cette nouvelle économie, la part immaterielle ne cesse d'augmenter, et ce bien sûr sous l'impulsion d'internet. "Car Internet, ça n'a pas de tour de contrôle ni de frontières !" se réjouit visiblement Madelin, dont l'intervention prend alors une tournure tout autre que le cours d'économie classique auquel nous avions droit jusque là... Il prédit la fin de la "société de commandement". Car internet ne fait pas seulement sauter les frontières nationales, mais également celles "entre les cultures, entre les activités autonomes et salariés, entre le public et le privé, entre l'industrie et les services." La nouvelle société en réseau rend caduque les pouvoirs en place, puisque l'asymétrie d'information est diminuée, permettant aux citoyens de mutualiser leur intelligence. Ce qui le conduit à formuler ce constat majeur :

À la société de commandement succède la société de coopération volontaire.

Vers l'économie non-marchande

Comme les frontières éclatent et que la coopération volontaire émerge, la nature de la création de valeur connaît selon Madelin une évolution disruptive.

Le nouveau monde ne porte pas seulement la promesse d'une création de richesses plus abondantes, mais sans doute une modification de l'idée même de richesse. En tout cas ce nouveau monde ne se réduit pas seulement à sa dimension monétaire.

Après tout, "Quelle est la valeur ajoutée des dépenses publiques - pourtant comptabilisées dans le PIB ? Et est-ce que le PIB crée du bonheur" s'interroge-t-il. Critiquant copieusement la mesure de la richesse par le PIB, Madelin argue que "beaucoup d'activités humaines échappent à l'économie marchande". Et contrairement à la période industrielle qui avait marchandisé un certaine nombre d'activités, l'inverse serait en train de se produire : nous allons vers une société de plus en plus non marchande. De la lenteur bureaucratique et à la production de masse, on passe ainsi à la production sur-mesure, ouverte, et en réseau. Il cite même Alvin Toffler, qui développait en 2007 dans "La Richesse révolutionnaire" la notion de "prosommateur", c'est à dire la tendance du consommateur à devenir de plus en plus producteur. "L'importance du prosommateur dans la société ne fait que grandir" estime Madelin qui détaille : "de nombreuses tâches sont désormais réintégrées dans l'économie domestique : la gestion du compte en banque, le montage de meubles en kit, l'impression de photos numérique à la maison, la production de pain..." Et bien sûr, le web contribue à cette tendance, par l'auto-formation, et l'accessibilité des outils en ligne. Ainsi, la croissance infinie devient possible car le carburant de ces nouvelles richesses ne sont pas physiques mais immatérielles : c'est la connaissance partagée, qui, transformée par l'intelligence humaine, devient de la richesse.

Il existe plus de créativité et d'intelligence en dehors des organisations traditionnelles qu'à l'intérieur

L'une des conséquences de cette tendance, c'est que la "valeur travail", se délite au profit de celle de la créativité. En fait, le travail de demain s'apparente davantage à celui d'un jardinier que d'un ingénieur, car le jardinier lui, "ne commande la nature qu'en lui obéissant" (François Bacon). Alors que le monde industriel, vertical et autoritaire, permettait d'une certaine manière tous les abus à une certaine minorité, le nouveau monde nous force davantage à "respecter la réalité telle qu'elle est".

Le défi de la liberté

"Le vieux système ou le chef a toujours raison car il sait, ce vieux système craque de toute part" assène Madelin. Mais comment construire le nouveau ? La réponse n'est guère surprenante au regard du personnage : c'est la Liberté. Reprenant ses classiques, Madelin fait appel à l'ordre spontané de Hayek pour expliquer que la troisième vague n'a pas tant besoin de contraintes... que de règles. En effet, dans la coopération volontaire qui émerge, Madelin explique que "les relations d'échanges ne se font pas avec un accord non pas sur des objectifs à atteindre en commun mais sur des règles de conduites". C'est le cas de l'open-source par exemple : dans un projet, quiconque est libre, s'il n'est pas satisfait de la direction choisie, de lancer un "fork", c'est à dire de réutiliser le code source du logiciel pour lancer un nouveau projet en parallèle. Seule condition : respecter la règle de la licence du logiciel, c'est-à-dire laisser le code du logiciel ouvert. Mais conformément à ce que disait Karl Popper en 1945 déjà, la Liberté et l'ouverture a ses ennemis : notre instinct tribal, qui nous ramène comme une lame de fonds à des réflexes de conservatisme. Parfois à tort critiqué de dangereux libéral, Alain Madelin semble déterminé à lancer un message profondément optimiste. Peut être même trop ? La nécessité de gérer une transition pacifique ne semble pas préoccuper outre mesure le Monsieur. La crise de la dette ? "C'est le problème de l'UMP et du PS" rétorque-t-il, rappelant qu'après tout, les crises de dettes précèdent historiquement les grandes révolution et se finissent généralement par des décisions non anticipées... Quant au problème du chômage, et puisque les richesses non-marchandes augmentent, ne faudrait-il pas réfléchir à un revenu de base, ne serait-ce que comme outil de transition ? Madelin reprend son costume d'homme politique pour répondre :

On en parlera plus tard.

Encore un effort, Monsieur Madelin, et nous vous inviterons comme speaker à notre prochain Ouishare Talk ! Photo de couverture gracieusement empruntée à SFLFrance -

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