Magazine
August 27, 2018

Les pratiques médiatiques du 21e siècle s’inventent dans les marges. Un entretien avec Erwan Ruty.

Bonjour Erwan. Vous êtes le fondateur du Médialab93, un incubateur de médias que vous revendiquez être un laboratoire de la ville de demain. Depuis vos fenêtres, que voyez-vous émerger ? À quoi pourraient ressembler les pratiques médiatiques du 21e siècle ?

On sait que les modèles économiques de la presse traditionnelle sont caducs. Et que les possibilités de ne faire que de l’éditorial se réduisent comme une peau de chagrin. Aussi, on regarde avec intérêt des modèles qui relient, comme le propose l’étymologie du mot média, et qui visent à transformer les salles de rédaction en des lieux ouverts sur la cité, un laboratoire d’idées.

C’était le cas de la proposition de Bruno Ledoux lorsqu’il s’est attaqué en 2014 à la restructuration de Libération pour sauver le journal de la faillite. Il voulait que Libération se transforme en un lieu où il y ait à la fois du coworking, de la formation, une salle de rédaction et de la restauration. Toute la rédaction s’est élevée contre lui. Alors que nous trouvions l’idée superbe, c’est le modèle idéal du 21e siècle ! Nordine Nabili, alors directeur du Bondy Blog, a écrit une tribune Il faut que « Libé » s’adapte à son époque ! pour expliquer que c’est exactement ce vers quoi l’équipe du Bondy Blog souhaitait tendre.

Malheureusement, le journalisme est victime de son conservatisme, et déploie plus d’énergie à défendre ses acquis qu’à se réinventer. En outre, il s’acharne à creuser le même sillon consistant à parler aux catégories supérieures françaises sans s'apercevoir que plus l’on parle à ces personnes-là moins on parle à une frange de plus en plus large de la population qui est sensible au populisme numérique. Cela contribue à déstabiliser la démocratie qui a pourtant bien besoin de ce 5e pouvoir que sont les médias.

On regarde avec intérêt des modèles qui relient comme le propose l’étymologie du mot “media” et qui visent à transformer les salles de rédaction en un lieu ouvert sur la cité, un laboratoire d’idées.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les activités du Médialab93  et sur ce qui vous a motivé à créer ce projet ?

Le Médialab93 est issu de l’expérience de Presse & Cité, une association que j’ai contribuée à fonder et qui anime un réseau de “médias de quartier”, des médias de pied d’immeuble qui racontent la banlieue par celles et ceux qui y vivent. La mission de ces médias est tout à fait utile et nécessaire, mais nécessite un accompagnement pour s’inscrire dans la durée et se professionnaliser. Partant de ce constat, nous avons monté Le Médialab93. Nous rassemblons dans un même espace et aux côtés d’un leader de la communication (ndlr : l’agence BETC, aux Magasins Généraux à Pantin) des associations, des entreprises et des entrepreneurs issus des banlieues, qui pourraient être amenés à porter ensemble des projets relatifs aux médias, à la culture ou à la communication. En les rassemblant, nous souhaitons favoriser une montée en gamme collective. Le Médialab93, c’est donc à la fois un incubateur, du coworking et de l’événementiel.

Ce qui nous motive, c’est d’améliorer le traitement médiatique des banlieues et de participer à l’écriture d’un nouveau récit de la société française, un récit qui fasse la part belle à sa diversité et sa pluralité. Nous souhaitons offrir de la visibilité à la génération urbaine émergente.

Ce qui nous motive, c’est d’améliorer le traitement médiatique des banlieues et de participer à l’écriture d’un nouveau récit de la société française.

Pourquoi est-ce important de permettre aux banlieues d’avoir leur place dans les médias ? Et en quoi Le Médialab93 répond-il à cette problématique ?

Parce qu’il existe une véritable fracture médiatique : ceux qui font les médias s’enferment toujours un peu plus dans une bulle élitiste et, qui plus est, ont une vision très “fait-diversière” des banlieues. Aussi, les banlieues désertent les médias traditionnels et ce sont ceux qui maitrisent les réseaux sociaux qui captent toute leur attention. Or, on le sait, les réseaux sociaux ont un effet amplificateur du communautarisme. C’est comme ça que les discours de haine ont pu se propager comme un feu de brousse, notamment en 2012 et 2013, avec des Dieudonné et des Alain Soral. Alors que les audiences de nos médias de quartier traditionnels stagnaient, les leurs ne cessaient d’augmenter.

Il existe une véritable fracture médiatique, car ceux qui font les médias s’enferment toujours un peu plus dans une bulle élitiste et, qui plus est, ont une vision très “fait-diversière” des banlieues.

Pour répondre à cela, on s’est dit qu’il fallait travailler un langage commun qui permette de transcender des frontières sociales, économiques et culturelles. Pour nous le langage des 15-40 ans, c'est le langage commun de la culture populaire française. Et on couple notre activité éditoriale, d’une programmation événementielle que nous montons avec les jeunes. Le dernier en date portait sur le Foot et les Cultures Urbaines, et sur comment le rap influence le foot et vice versa. On avait invité des rappeurs, des réalisateurs, des éducateurs etc. On apporte du fond avec un mode happening, au travers de quizz, de jeux. Suite à l’événement, une journaliste publiera un article de fond sur la manière dont des enfants sont débauchés par des recruteurs sportifs peu scrupuleux.

Medialab93 est constitué en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), un format juridique qui permet notamment d’associer toute personne physique ou morale au projet commun. Qu'est-ce qui vous a motivé à choisir cette forme juridique ?

À la fois le pragmatisme et l'idéalisme. Tout d’abord, le pragmatisme : on savait que le projet serait compliqué et on voulait le porter à plusieurs. Aussi, nous avons choisi parmi les sociétaires des personnes dont on souhaitait qu’elles nous accompagnent. On voulait également pouvoir intégrer des villes, des communautés d’agglomération pour donner du poids à notre projet, le crédibiliser. La SCIC est un format idéal pour qui souhaite regrouper acteurs privés et publics et leur donner la possibilité de prendre part à la fête. Pour l’idéalisme, on souhaite par ce regroupement faire de la SCIC un prétexte au débat d’idées, en faire un lieu d’émergence et de réflexion sur ce qu’est la pratique médiatique au 21e siècle.

Néanmoins, pour moi, le statut juridique reste très secondaire : c’est un outil au service d’un projet. Lorsque l’on souhaite entreprendre, le pragmatisme est une nécessité : être extrêmement agile, souple et se dire que les outils restent des outils.

Dans les bureaux du Médialab93

Une dernière question en lien avec votre autre domaine d’engagement : l’écologie et les banlieues, c'est compatible ?

À l’avenir, oui ! L’écologie va de pair avec la relocalisation des activités. Or aujourd’hui, où sont les territoires où l’on peut relocaliser, mais aussi réparer, restaurer et recycler ? Les centres-ville sont saturés, n’ont plus d’espaces à offrir. Et qui sont les personnes qui pourront prendre part à ces activités ? Probablement pas les cadres supérieurs, mais plutôt des personnes qui ont fait des études techniques, ou manuelles, qui sont ingénieux, qui se démerdent régulièrement pour réparer leur véhicule, par exemple. Ces espaces et ces compétences, on les trouve dans les banlieues. Il s’agit de refaire des marges des espaces productifs. À l’époque ouvrière, les périphéries abritaient les ouvriers, le moteur de la société française. La désindustrialisation a laissé les banlieues sans travail. Il est temps de leur redonner une place dans la société, une fonction dans la machine économique. Cela va de pair avec la revalorisation du travail manuel, appuyée par des écrits tels que ceux de Matthew Crawford. Je vois donc dans l’écologie l’opportunité d’offrir une place valorisante aux banlieues, d’en faire le poumon de la société !

Les pratiques médiatiques du 21e siècle s’inventent dans les marges. Un entretien avec Erwan Ruty.

by 
Hélène Vuaroqueaux
Magazine
August 9, 2018
Les pratiques médiatiques du 21e siècle s’inventent dans les marges. Un entretien avec Erwan Ruty.
Share on

À quoi devrait ressembler une salle de rédaction au 21e siècle ? Comment permettre aux banlieues de participer au récit collectif ? Pour esquisser des réponses à ces questions, nous avons rencontré Erwan Ruty. Erwan Ruty travaille depuis 20 ans dans des médias implantés dans les banlieues. En 1996, il était rédacteur "Société" pour Pote à Potes le premier mensuel dédié aux quartiers. Aujourd’hui, il développe Le Médialab93, un incubateur pour les médias et créatifs du 93.

Bonjour Erwan. Vous êtes le fondateur du Médialab93, un incubateur de médias que vous revendiquez être un laboratoire de la ville de demain. Depuis vos fenêtres, que voyez-vous émerger ? À quoi pourraient ressembler les pratiques médiatiques du 21e siècle ?

On sait que les modèles économiques de la presse traditionnelle sont caducs. Et que les possibilités de ne faire que de l’éditorial se réduisent comme une peau de chagrin. Aussi, on regarde avec intérêt des modèles qui relient, comme le propose l’étymologie du mot média, et qui visent à transformer les salles de rédaction en des lieux ouverts sur la cité, un laboratoire d’idées.

C’était le cas de la proposition de Bruno Ledoux lorsqu’il s’est attaqué en 2014 à la restructuration de Libération pour sauver le journal de la faillite. Il voulait que Libération se transforme en un lieu où il y ait à la fois du coworking, de la formation, une salle de rédaction et de la restauration. Toute la rédaction s’est élevée contre lui. Alors que nous trouvions l’idée superbe, c’est le modèle idéal du 21e siècle ! Nordine Nabili, alors directeur du Bondy Blog, a écrit une tribune Il faut que « Libé » s’adapte à son époque ! pour expliquer que c’est exactement ce vers quoi l’équipe du Bondy Blog souhaitait tendre.

Malheureusement, le journalisme est victime de son conservatisme, et déploie plus d’énergie à défendre ses acquis qu’à se réinventer. En outre, il s’acharne à creuser le même sillon consistant à parler aux catégories supérieures françaises sans s'apercevoir que plus l’on parle à ces personnes-là moins on parle à une frange de plus en plus large de la population qui est sensible au populisme numérique. Cela contribue à déstabiliser la démocratie qui a pourtant bien besoin de ce 5e pouvoir que sont les médias.

On regarde avec intérêt des modèles qui relient comme le propose l’étymologie du mot “media” et qui visent à transformer les salles de rédaction en un lieu ouvert sur la cité, un laboratoire d’idées.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les activités du Médialab93  et sur ce qui vous a motivé à créer ce projet ?

Le Médialab93 est issu de l’expérience de Presse & Cité, une association que j’ai contribuée à fonder et qui anime un réseau de “médias de quartier”, des médias de pied d’immeuble qui racontent la banlieue par celles et ceux qui y vivent. La mission de ces médias est tout à fait utile et nécessaire, mais nécessite un accompagnement pour s’inscrire dans la durée et se professionnaliser. Partant de ce constat, nous avons monté Le Médialab93. Nous rassemblons dans un même espace et aux côtés d’un leader de la communication (ndlr : l’agence BETC, aux Magasins Généraux à Pantin) des associations, des entreprises et des entrepreneurs issus des banlieues, qui pourraient être amenés à porter ensemble des projets relatifs aux médias, à la culture ou à la communication. En les rassemblant, nous souhaitons favoriser une montée en gamme collective. Le Médialab93, c’est donc à la fois un incubateur, du coworking et de l’événementiel.

Ce qui nous motive, c’est d’améliorer le traitement médiatique des banlieues et de participer à l’écriture d’un nouveau récit de la société française, un récit qui fasse la part belle à sa diversité et sa pluralité. Nous souhaitons offrir de la visibilité à la génération urbaine émergente.

Ce qui nous motive, c’est d’améliorer le traitement médiatique des banlieues et de participer à l’écriture d’un nouveau récit de la société française.

Pourquoi est-ce important de permettre aux banlieues d’avoir leur place dans les médias ? Et en quoi Le Médialab93 répond-il à cette problématique ?

Parce qu’il existe une véritable fracture médiatique : ceux qui font les médias s’enferment toujours un peu plus dans une bulle élitiste et, qui plus est, ont une vision très “fait-diversière” des banlieues. Aussi, les banlieues désertent les médias traditionnels et ce sont ceux qui maitrisent les réseaux sociaux qui captent toute leur attention. Or, on le sait, les réseaux sociaux ont un effet amplificateur du communautarisme. C’est comme ça que les discours de haine ont pu se propager comme un feu de brousse, notamment en 2012 et 2013, avec des Dieudonné et des Alain Soral. Alors que les audiences de nos médias de quartier traditionnels stagnaient, les leurs ne cessaient d’augmenter.

Il existe une véritable fracture médiatique, car ceux qui font les médias s’enferment toujours un peu plus dans une bulle élitiste et, qui plus est, ont une vision très “fait-diversière” des banlieues.

Pour répondre à cela, on s’est dit qu’il fallait travailler un langage commun qui permette de transcender des frontières sociales, économiques et culturelles. Pour nous le langage des 15-40 ans, c'est le langage commun de la culture populaire française. Et on couple notre activité éditoriale, d’une programmation événementielle que nous montons avec les jeunes. Le dernier en date portait sur le Foot et les Cultures Urbaines, et sur comment le rap influence le foot et vice versa. On avait invité des rappeurs, des réalisateurs, des éducateurs etc. On apporte du fond avec un mode happening, au travers de quizz, de jeux. Suite à l’événement, une journaliste publiera un article de fond sur la manière dont des enfants sont débauchés par des recruteurs sportifs peu scrupuleux.

Medialab93 est constitué en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), un format juridique qui permet notamment d’associer toute personne physique ou morale au projet commun. Qu'est-ce qui vous a motivé à choisir cette forme juridique ?

À la fois le pragmatisme et l'idéalisme. Tout d’abord, le pragmatisme : on savait que le projet serait compliqué et on voulait le porter à plusieurs. Aussi, nous avons choisi parmi les sociétaires des personnes dont on souhaitait qu’elles nous accompagnent. On voulait également pouvoir intégrer des villes, des communautés d’agglomération pour donner du poids à notre projet, le crédibiliser. La SCIC est un format idéal pour qui souhaite regrouper acteurs privés et publics et leur donner la possibilité de prendre part à la fête. Pour l’idéalisme, on souhaite par ce regroupement faire de la SCIC un prétexte au débat d’idées, en faire un lieu d’émergence et de réflexion sur ce qu’est la pratique médiatique au 21e siècle.

Néanmoins, pour moi, le statut juridique reste très secondaire : c’est un outil au service d’un projet. Lorsque l’on souhaite entreprendre, le pragmatisme est une nécessité : être extrêmement agile, souple et se dire que les outils restent des outils.

Dans les bureaux du Médialab93

Une dernière question en lien avec votre autre domaine d’engagement : l’écologie et les banlieues, c'est compatible ?

À l’avenir, oui ! L’écologie va de pair avec la relocalisation des activités. Or aujourd’hui, où sont les territoires où l’on peut relocaliser, mais aussi réparer, restaurer et recycler ? Les centres-ville sont saturés, n’ont plus d’espaces à offrir. Et qui sont les personnes qui pourront prendre part à ces activités ? Probablement pas les cadres supérieurs, mais plutôt des personnes qui ont fait des études techniques, ou manuelles, qui sont ingénieux, qui se démerdent régulièrement pour réparer leur véhicule, par exemple. Ces espaces et ces compétences, on les trouve dans les banlieues. Il s’agit de refaire des marges des espaces productifs. À l’époque ouvrière, les périphéries abritaient les ouvriers, le moteur de la société française. La désindustrialisation a laissé les banlieues sans travail. Il est temps de leur redonner une place dans la société, une fonction dans la machine économique. Cela va de pair avec la revalorisation du travail manuel, appuyée par des écrits tels que ceux de Matthew Crawford. Je vois donc dans l’écologie l’opportunité d’offrir une place valorisante aux banlieues, d’en faire le poumon de la société !

by 
Hélène Vuaroqueaux
Magazine
August 9, 2018

Les pratiques médiatiques du 21e siècle s’inventent dans les marges. Un entretien avec Erwan Ruty.

by
Hélène Vuaroqueaux
Magazine
Share on

À quoi devrait ressembler une salle de rédaction au 21e siècle ? Comment permettre aux banlieues de participer au récit collectif ? Pour esquisser des réponses à ces questions, nous avons rencontré Erwan Ruty. Erwan Ruty travaille depuis 20 ans dans des médias implantés dans les banlieues. En 1996, il était rédacteur "Société" pour Pote à Potes le premier mensuel dédié aux quartiers. Aujourd’hui, il développe Le Médialab93, un incubateur pour les médias et créatifs du 93.

Bonjour Erwan. Vous êtes le fondateur du Médialab93, un incubateur de médias que vous revendiquez être un laboratoire de la ville de demain. Depuis vos fenêtres, que voyez-vous émerger ? À quoi pourraient ressembler les pratiques médiatiques du 21e siècle ?

On sait que les modèles économiques de la presse traditionnelle sont caducs. Et que les possibilités de ne faire que de l’éditorial se réduisent comme une peau de chagrin. Aussi, on regarde avec intérêt des modèles qui relient, comme le propose l’étymologie du mot média, et qui visent à transformer les salles de rédaction en des lieux ouverts sur la cité, un laboratoire d’idées.

C’était le cas de la proposition de Bruno Ledoux lorsqu’il s’est attaqué en 2014 à la restructuration de Libération pour sauver le journal de la faillite. Il voulait que Libération se transforme en un lieu où il y ait à la fois du coworking, de la formation, une salle de rédaction et de la restauration. Toute la rédaction s’est élevée contre lui. Alors que nous trouvions l’idée superbe, c’est le modèle idéal du 21e siècle ! Nordine Nabili, alors directeur du Bondy Blog, a écrit une tribune Il faut que « Libé » s’adapte à son époque ! pour expliquer que c’est exactement ce vers quoi l’équipe du Bondy Blog souhaitait tendre.

Malheureusement, le journalisme est victime de son conservatisme, et déploie plus d’énergie à défendre ses acquis qu’à se réinventer. En outre, il s’acharne à creuser le même sillon consistant à parler aux catégories supérieures françaises sans s'apercevoir que plus l’on parle à ces personnes-là moins on parle à une frange de plus en plus large de la population qui est sensible au populisme numérique. Cela contribue à déstabiliser la démocratie qui a pourtant bien besoin de ce 5e pouvoir que sont les médias.

On regarde avec intérêt des modèles qui relient comme le propose l’étymologie du mot “media” et qui visent à transformer les salles de rédaction en un lieu ouvert sur la cité, un laboratoire d’idées.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les activités du Médialab93  et sur ce qui vous a motivé à créer ce projet ?

Le Médialab93 est issu de l’expérience de Presse & Cité, une association que j’ai contribuée à fonder et qui anime un réseau de “médias de quartier”, des médias de pied d’immeuble qui racontent la banlieue par celles et ceux qui y vivent. La mission de ces médias est tout à fait utile et nécessaire, mais nécessite un accompagnement pour s’inscrire dans la durée et se professionnaliser. Partant de ce constat, nous avons monté Le Médialab93. Nous rassemblons dans un même espace et aux côtés d’un leader de la communication (ndlr : l’agence BETC, aux Magasins Généraux à Pantin) des associations, des entreprises et des entrepreneurs issus des banlieues, qui pourraient être amenés à porter ensemble des projets relatifs aux médias, à la culture ou à la communication. En les rassemblant, nous souhaitons favoriser une montée en gamme collective. Le Médialab93, c’est donc à la fois un incubateur, du coworking et de l’événementiel.

Ce qui nous motive, c’est d’améliorer le traitement médiatique des banlieues et de participer à l’écriture d’un nouveau récit de la société française, un récit qui fasse la part belle à sa diversité et sa pluralité. Nous souhaitons offrir de la visibilité à la génération urbaine émergente.

Ce qui nous motive, c’est d’améliorer le traitement médiatique des banlieues et de participer à l’écriture d’un nouveau récit de la société française.

Pourquoi est-ce important de permettre aux banlieues d’avoir leur place dans les médias ? Et en quoi Le Médialab93 répond-il à cette problématique ?

Parce qu’il existe une véritable fracture médiatique : ceux qui font les médias s’enferment toujours un peu plus dans une bulle élitiste et, qui plus est, ont une vision très “fait-diversière” des banlieues. Aussi, les banlieues désertent les médias traditionnels et ce sont ceux qui maitrisent les réseaux sociaux qui captent toute leur attention. Or, on le sait, les réseaux sociaux ont un effet amplificateur du communautarisme. C’est comme ça que les discours de haine ont pu se propager comme un feu de brousse, notamment en 2012 et 2013, avec des Dieudonné et des Alain Soral. Alors que les audiences de nos médias de quartier traditionnels stagnaient, les leurs ne cessaient d’augmenter.

Il existe une véritable fracture médiatique, car ceux qui font les médias s’enferment toujours un peu plus dans une bulle élitiste et, qui plus est, ont une vision très “fait-diversière” des banlieues.

Pour répondre à cela, on s’est dit qu’il fallait travailler un langage commun qui permette de transcender des frontières sociales, économiques et culturelles. Pour nous le langage des 15-40 ans, c'est le langage commun de la culture populaire française. Et on couple notre activité éditoriale, d’une programmation événementielle que nous montons avec les jeunes. Le dernier en date portait sur le Foot et les Cultures Urbaines, et sur comment le rap influence le foot et vice versa. On avait invité des rappeurs, des réalisateurs, des éducateurs etc. On apporte du fond avec un mode happening, au travers de quizz, de jeux. Suite à l’événement, une journaliste publiera un article de fond sur la manière dont des enfants sont débauchés par des recruteurs sportifs peu scrupuleux.

Medialab93 est constitué en Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), un format juridique qui permet notamment d’associer toute personne physique ou morale au projet commun. Qu'est-ce qui vous a motivé à choisir cette forme juridique ?

À la fois le pragmatisme et l'idéalisme. Tout d’abord, le pragmatisme : on savait que le projet serait compliqué et on voulait le porter à plusieurs. Aussi, nous avons choisi parmi les sociétaires des personnes dont on souhaitait qu’elles nous accompagnent. On voulait également pouvoir intégrer des villes, des communautés d’agglomération pour donner du poids à notre projet, le crédibiliser. La SCIC est un format idéal pour qui souhaite regrouper acteurs privés et publics et leur donner la possibilité de prendre part à la fête. Pour l’idéalisme, on souhaite par ce regroupement faire de la SCIC un prétexte au débat d’idées, en faire un lieu d’émergence et de réflexion sur ce qu’est la pratique médiatique au 21e siècle.

Néanmoins, pour moi, le statut juridique reste très secondaire : c’est un outil au service d’un projet. Lorsque l’on souhaite entreprendre, le pragmatisme est une nécessité : être extrêmement agile, souple et se dire que les outils restent des outils.

Dans les bureaux du Médialab93

Une dernière question en lien avec votre autre domaine d’engagement : l’écologie et les banlieues, c'est compatible ?

À l’avenir, oui ! L’écologie va de pair avec la relocalisation des activités. Or aujourd’hui, où sont les territoires où l’on peut relocaliser, mais aussi réparer, restaurer et recycler ? Les centres-ville sont saturés, n’ont plus d’espaces à offrir. Et qui sont les personnes qui pourront prendre part à ces activités ? Probablement pas les cadres supérieurs, mais plutôt des personnes qui ont fait des études techniques, ou manuelles, qui sont ingénieux, qui se démerdent régulièrement pour réparer leur véhicule, par exemple. Ces espaces et ces compétences, on les trouve dans les banlieues. Il s’agit de refaire des marges des espaces productifs. À l’époque ouvrière, les périphéries abritaient les ouvriers, le moteur de la société française. La désindustrialisation a laissé les banlieues sans travail. Il est temps de leur redonner une place dans la société, une fonction dans la machine économique. Cela va de pair avec la revalorisation du travail manuel, appuyée par des écrits tels que ceux de Matthew Crawford. Je vois donc dans l’écologie l’opportunité d’offrir une place valorisante aux banlieues, d’en faire le poumon de la société !

by 
Hélène Vuaroqueaux
Magazine
Sign up